Histoire

Un char avec des chevaux en 1963, Loriol

En 1791 et 1792, partout en France, des fêtes institutionnelles furent mises en place et intégrées aux constitutions : chacune devint un élément important de l’éducation publique. En 1795, sept fêtes nationales devaient être célébrées chaque année, dont la fête de l’Agriculture, célébrée dans la Drôme en l’an VI et l’an VII [Serve, 2018]. Les autorités locales et les citoyens célébraient l’agriculture et les laboureurs défilaient dans les rues sur leur charrue tirée par des bœufs ou des chevaux [Serve, 2018]. Prescrites par les autorités, les fêtes de l’agriculture, célébrées l’été, durèrent jusqu’en avril 1800. Lors de ces célébrations se trouvait déjà en tête de cortège « une table portative ornée de guirlandes sur laquelle repose le premier des trésors, le pain et les gerbes qui le donnent […], traînée à pas lents par des bœufs vigoureux suivis d’une charrue… » et l’on décernait un prix « aux agriculteurs qui auroient déployé le plus d’habileté dans l’art du labourage » [Serve, 2018].

Outre ces fêtes instaurées par le gouvernement révolutionnaire existaient dans la Drôme des pratiques rituelles plus anciennes, incluses dans le cycle calendaire, qui mettaient à l’honneur les bouviers. On célébrait entre autres un « roi de la fête » aux XVIIIe et XIXe siècles. « Une des places de Montélimart, affirme N. de la Croix, dans la Statistique de ce département (1835), porte le nom de Mai ou des Bouviers. C’est là que, le 30 avril de chaque année, les bayles et les laboureurs plantent le mai. C’est un prélude à leur fête des laboureurs qui a lieu à la Pentecôte. La fête durait autrefois trois jours, comme la Pentecôte elle-même. Elle est réduite à un seul depuis 1818, époque à laquelle on la ressuscita dans le pays de Montélimart, à Valence, à Beaumont, à Montéléger, à Meyran, à Upie. Le roi de la fête choisi par les jeunes gens, a pour sceptre une pique couronnée d’épis de blé. Tous les assistants ont à la boutonnière un bouquet d’épis » [Désiré Monnier et Vingtrinier, Croyances et traditions populaires recueillies dans la Franche-Comté, 1874]. La messe était suivie de diverses célébrations : danses, farandoles et banquets champêtres. Il semble que les fêtes des bouviers et les fêtes des laboureurs soient issues de ces célébrations fêtant la fin de l’hiver. Elles peuvent également être liées aux fêtes dites patronales, « caractérisées par des cérémonies religieuses (messe, procession) et des réjouissances profanes (défilé, fanfare, majorettes, banquet, attraction foraine, bal et jeux) » [Cretin, 2004]. Entre 1906 et 1911, le registre des annales de la paroisse d’Upie, évoque la fête des bouviers comme une fête tendant « à devenirde plus en plus profane » [extrait du registre des messes de la paroisse d’Upie, janvier 1911, archives diocésaines de Valence].

Un char en 1963, Loriol

Les fêtes des laboureurs du début du XIXe siècle, telles qu’on les connaît encore aujourd’hui, célèbrent les bouviers et le travail des laboureurs. La fête des laboureurs peut être considérée comme la célébration de la Saint-Bernard. Célébré le 23 janvier, Bernard ou Barnard est, dans la Drôme, le saint patron des laboureurs : « Avant 1939, on organisait à son jour des scènes théâtrales et musicales, des chars décorés, des cavalcades et des festins sous la direction d’un président (anciennement « roi ») élu dans les communes qui bordent le Vercors et au sud-est de Romans » [Van Gennep, 1937, p. 2217]. La fête des bouviers, elle, semble célébrer la Saint-Blaise (le 3 février). Elle était pratiquée avant 1939 dans une dizaine de villages de la région de l’Ain et inconnue ailleurs dans le département : « Les cérémonies comme la distribution du pain béni, un grand défilé de toute la notabilité et un banquet ont été organisées au 3 février » [Van Gennep, 1937]. D’autres fêtes étaient organisées en l’honneur du patron des vignerons, la Saint-Vincent, le 22 janvier : « Dans certains lieux, le dimanche qui suivait le 22 janvier, la bénédiction des outils de travail des vignes s’est déroulée lors de la grande messe. […] Ou encore, un cortège des chars décorés avec du buis, des rubans, des fleurs circulant dans la rue marquait la fête de la Saint-Vincent. Lors d’un banquet des vignerons, le président était également élu. » [Van Gennep, 1937].

Selon les sources écrites, les fêtes des bouviers et des laboureurs se pratiquent depuis la fin du XVIIIe siècle ou le début du XIXe siècle. Elles ont succédé, après un arrêt en 1800, aux fêtes de l’agriculture, instaurées par arrêtés révolutionnaires. En 1835, Nicolas Delacroix évoque leur existence dans la statistique descriptive du département : « Dans les campagnes des environs de Valence et notamment à Beaumont, Montéléger, Montmeyran et Upie, on célèbre annuellement au mois de janvier la fête des laboureurs. Elle commence par l’offrande d’un pain chargé d’épis et de rubans, qu’on porte à l’église. Le roi de la fête, choisi par les jeunes gens, a pour sceptre une pique couronnée d’épis. La journée se passe en festins et en danses. Le lendemain, on se rassemble dans le champ : chacun fait amener sa charrue ; on figure les travaux du laboureur et cette seconde journée se passe encore dans la joie et les plaisirs de la liberté » [Delacroix, Statistique de la Drôme, 2e édition, Valence, 1835]. À Beaumont-lès-Valence, la fête est créée en 1851 : « cette fête est célébrée en l’honneur de l’agriculture et est appelée vulgairement la fête des bouviers depuis qu’elle existe » [Serve, 2018]. En 1882, Pilot de Thorey signale que les fêtes des laboureurs durent trois jours et se déroulent dans les communes rurales des alentours de Valence et Romans [Fêtes et coutumes du Dauphiné, 1882]. À Loriol, un défilé festif existe dès 1882, qui devient une fête traditionnelle des bouviers en 1922. Un concours, organisé le jour de la fête des bouviers, célébrait alors les plus beaux fruits, les plus beaux moutons, etc. D’autres communes ont suivi : la Saint-Vincent est célébrée à Beaumont-Monteux à partir de 1886. À Montoison, l’apparition de la fête est datée de 1889. À Fauconnières, une fête des bouviers est créée en 1928 et devient fête des laboureurs en 1953 ; en 1969 s’y ajoute un corso, aujourd’hui réputé.

Les deux guerres mondiales ont entraîné l’arrêt forcé de toutes les fêtes des bouviers et des laboureurs, qui se sont recréées après la guerre 1939-1945.

Voitures du corso de Saint-Paul-Lès-Romans en 1963

Quelques évolutions marquantes

Avant les années 1960, les rois ou les présidents des bouviers étaient des notables et membres du conseil municipal. L’organisation de la fête était à leur charge : les banquets, les frais vestimentaires, les frais de la confection du char, etc., ce qui représentaient une dépense importante. Le roi de 1922 a été élu une seconde fois en 1934 dans l’une des communes, ce qui n’était jamais arrivé, car il n’y avait pas d’autres volontaires. Depuis, la décision a été prise de créer un comité des fêtes (en 1962 à Beaumont-lès-Valence, en 1968 à Fauconnières et en 1966 à Loriol), permettant au roi ou président d’être déchargé des frais liés à l’organisation. Le comité met en place des événements, ponctuant l’année, qui permettent la récolte de fonds pour le week-end de fête.

Durant les années 1960 et 1970, après des années de festivités organisées pour les hommes, les femmes ont pu intégrer les fêtes. Même si cette ouverture a été assez timide, elles peuvent depuis lors défiler sur les chars, participer aux banquets aux côtés des hommes et rejoindre peu à peu les commissions composées uniquement d’hommes. En 1969, à Beaumont-Monteux, le président avait annoncé : « Il faut qu’on commence à faire venir les femmes aux repas » De nos jours, les femmes prennent part à la fête et à son organisation autant que les hommes.